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En décembre 1981, j’avais 8 ans et je venais d’entamer ma deuxième année de scolarité dans un village africain de la Haute-Volta (Burkina Faso depuis 1984). L’ouvrage Histoire de l’IPD (1963-1981), 67 pages, de Fernand VINCENT, me rappelle l’importance de la réflexion sur le développement durable du continent noir dont la formation constitue un vecteur incontournable. Le compte rendu ci-dessous met en lumière la puissance d’une vision et l’importance d’un projet d’actualité. Plus qu’une synthèse d’un ouvrage, il s’agit de l’interprétation et de la mise en évidence du sens profond d’un engagement, d’une finalité et d’un don de soi pour un autre développement en Afrique porté par un nouveau modèle de formation.

Un acte d’écriture, un devoir de mémoire

La préface rédigée par le Président de l’IPD, Pr Akin L. MABOGUNJE, rappelle la caractéristique principale de l’Institut qui est le changement. Ce changement a été porté par une équipe de pionniers sous l’impulsion d’un acteur de la transformation en la personne de Fernand VINCENT. Au regard de l’actualité de la vision et des aspirations des pères fondateurs de l’IPD, l’histoire de l’Institut se présente comme un feuille de route pour relever les défis de l’avenir.

En se référant à l’œuvre des pionniers, le préfacier compare ces visionnaires à une « équipe d’arpenteurs s’efforçant de tracer une route droite dans un terrain accidenté, vallonné et boisé où il n’est pas facile de voir bien loin… » C’est en ajustant, en évaluant et en se remettant en cause qu’un nouvel IPD, africanisé, a pris place dans l’esprit de continuité de la vision de l’ancien porté par une équipe européenne. L’Institut a comme défi de faire revivre et réaffirmer les espoirs et les attentes des pionniers. Le livre de Fernand VINCENT se veut un appel à un nouvel engagement.
Il s’agit avant tout d’une œuvre collective dont la rédaction a bénéficié de la contribution de tous les bâtisseurs de l’IPD. Il souligne les faits marquants vécus par les fondateurs afin de donner l’exemple et montrer le chemin.

L’IPD, tout comme les grandes réalisations de ce monde, est issu d’une idée, d’une interrogation des pères fondateurs dont Robert VAUTHERIN, Monseigneur ZOA et Fernand VINCENT sur le fossé existant entre les élites africaines formées dans les écoles occidentales et les masses paysannes porteuses du développement. Les pères fondateurs ont constaté l’absence d’un maillon indispensable qui devrait être un ensemble de cadres moyens servant d’intermédiaires. Ces cadres devraient être formés par une Ecoles de Cadres créée par une ONG travaillant en étroite collaboration avec l’ensemble des gouvernements africains. Un « dossier bleu » datant de juin 1963 précise les contours de l’idée d’un Institut Panafricain pour le Développement. L’IPD, en tant qu’idée, est une réponse à un besoin de développement à la fois économique, social, culturel et spirituel.

Croire au changement

Constatant l’état de pauvreté matérielle des villages africains, les pionniers de l’IPD prirent la résolution d’aider à l’avènement d’un changement d’hommes et de structures. Conscient de la dimension intégrale du développement touchant à la fois le corps, la tête, le cœur et l’esprit, le changement qui devrait être opéré serait une réponse à des besoins économiques, sociaux, culturels et spirituels. L’Institut était perçu comme un outil d’accompagnement en charge de la formation de cadres capables de vivre et de montrer ceux en quoi ils croient. « Ce qu’ils croient repose sur une société où l’homme le plus pauvre, est libre, où il est responsable de son destin, où il est capable de s’associer à d’autres pour assumer ses responsabilités et transformer les structures dans lesquelles il ne peut s’épanouir. » L’IPD privilégiait une approche pédagogique fondée sur le témoignage de vie comme premier acte de formation. Il s’agissait avant tout de la quête d’une troisième voie de développement prenant ses sources dans la synergie africaine. L’Institut bénéficia du soutien des gouvernements africains et de l’accompagnement des partenaires financiers extérieurs.

L’expérience des pionniers est très édifiante. Parti d’une idée et d’un don de 50 000 francs suisse, Fernand VINCENT et ses associés firent un acte de don de soi et de sacrifice pour réaliser leurs rêves de contribuer au développement du continent africain par la formation des cadres. La lettre de soutien du Président du Cameroun du 04 novembre 1964 fut un sésame nécessaire pour le lobbying au service du financement de l’Institut lancé à travers l’Ecole des Cadres de Douala en mars 1965. La première promotion comptait 36 étudiants de 7 pays africains : Cameroun, RCA, Dahomey (actuel Bénin), Niger, Tchad, Togo et Zaïre. La deuxième promotion enregistra en plus trois pays : la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), le Mali et le Rwanda.

Former autrement

« Former un certain type d’homme responsable, inséré dans sa culture, soucieux du bien commun et mettant les capacités techniques qu’il acquérait, ainsi que ses compétences et son expérience professionnelle au service de la communauté avec laquelle il était appelé à travailler et à vivre. » L’IPD avait opté pour un nouveau paradigme de formation en sortant des méthodes traditionnelles. Les villageois et les paysans déterminaient le contenu de la formation destinée à répondre à leurs besoins. Le processus pédagogique comportait des « stages/terrain alternant avec des cours reçus à l’Institut et consistant en un dialogue à partir de ce qui avait été vu sur le terrain et de l’expérience acquise » des apprenants. L’Institut opta très tôt pour la « pédagogie de l’échec » afin de se servir des échecs pour découvrir quelque chose de nouveau et provoquer le changement.

L’anecdote suivant démontre à quel point les apprenants de l’IPD étaient préparés à gérer les véritables problèmes de développement : « La case des VROONEN est complètement inondée ; le canal a débordé. Il faut faire quelque chose. », telle était l’invitation faite à une classe d’apprenants en août 1965. Ceux-ci se mirent en mouvement et nettoyèrent immédiatement la maison et relogèrent ses occupants. La coopérative des étudiants mise en place et gérée par ceux-ci était aussi le symbole d’une action d’auto développement. Comment les étudiants pouvaient-ils accompagner les coopératives paysannes si eux-mêmes étaient incapables d’en créer et d’en gérer.

L’approche pédagogique finit par prendre forme à travers la tridimensionnalité qui s’opérationnalisait par les zones laboratoires dont les principales sources du contenu de formation demeuraient le terrain et les paysans. L’IPD voulait contribuer à l’émergence d’un développement reposant sur la participation et l’intégration. Pour ce faire, une liaison étroite existait entre formation, recherche et appui-conseil.

Un voyage sans repos, une motivation sans faille

Dès les premiers moments de la mise en œuvre du projet IPD, les pionniers firent face à une situation financière précaire sauvée par la solidarité et la prise de risque des membres. En décembre 1965, les étudiants entrèrent en grève. Un dialogue entre ces derniers et la direction permit de sauver la situation. Les pionniers retinrent de ce mouvement une leçon : « Quand les étudiants bougent c’est un bon signe, car ils veulent au moins quelque chose. Notre pédagogie doit nous amener à être contestés. », Soutient le Directeur de l’Ecole de Cadres, Jean-Bernard PAYET. Le projet IPD bénéficia de l’engagement d’une « sacrée mafia » qu’était l’équipe directoriale et pédagogique.

Dans son processus d’évolution, les pionniers du projet IPD jugèrent utile de mener un mouvement de réflexion, de remise en question et de restructuration. Ils procédèrent à une « Réforme de l’IPD » qui permit l’augmentation du nombre d’écoles et de centres de formation. L’Institut Panafricain pour le Développement, Région de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel (IPD-AOS) fut le fruit de cette réforme. Cet Institut, ouvert officiellement le 1er septembre 1977 à Ouagadougou, devait répondre aux besoins des pays concernés : la formation de planificateurs régionaux, de gestionnaires de projets pour le développement rural et de formateurs ; la formation de courte durée d’agents de développement en cours d’emploi ; et l’appui des acteurs et la diffusion de résultats de recherche dans ses domaines d’intervention.

Aux niveaux institutionnel et scientifique, l’IPD connut un rayonnement remarquable. Ses liens de partenariats comprenaient des pays africains, occidentaux, des organisations internationales et des universités et centres de recherche du monde entier.

Le départ de Fernand VINCENT, une leçon d’alternance

« Il n’y aura pas de vraie responsabilisation si je reste au sein de l’IPD à quelque poste que ce soit. Je ne peux donc pas accepter ces propositions et choisis de quitter l’IPD. » Après onze mois de passation de services, la période de transition prit fin avec la prise en main du destin de l’IPD par une équipe africaine. En mars 1981, l’IPD devenait « une Institution africaine dirigée et contrôlée par des Africains ».
Fernand VINCENT crut à la capacité des Africains à porter une nouvelle espérance pour le développement de l’Afrique. Il invita la nouvelle équipe à se mettre à la place des autres et à construire même quand cela est difficile. Pour « faire bouger les montagnes », selon la foi de l’IPD, il faut davantage de motivation et d’engagement personnel. Plus que le discours, c’est le témoignage de vie qui permettra de relever le défi de la créativité et de l’initiative pour un IPD porteur d’un nouveau modèle de développement africain intégrant les dimensions culturelle, spirituelle et psychologique.

Pour ce faire, chaque actrice et chaque acteur de l’IPD doit avoir un idéal élevé, opérer sa propre révolution, se décoloniser mentalement, créer au lieu de subir et agir avec la masse. Après quinze ans au service de l’IPD, Fernand VINCENT et toute l’équipe pionnière contribuèrent à bâtir une institution solide, unique au service du développement africain. Le sort de l’IPD est entre les mains d’une « équipe d’hommes solides et motivés, capables de continuer et de développer ce qui a été entrepris » par les pères fondateurs.

Un récit du passé, une boussole pour l’avenir

Ce témoignage de vie de l’inspirateur du projet IPD, Fernand VINCENT, est une interpellation à la jeune génération africaine appelée à servir la cause du développement en bénéficiant du privilège d’être membre d’une aventure cinquantenaire. Les défis du développement demeurent presqu’intact avec une complexification due aux changements majeurs de contextes et de circonstances. Les populations africaines sont davantage plus conscientes. Les offres de formations sont plus diversifiées. L’IPD doit compter sur sa particularité qui met en harmonie sa finalité, ses principes, sa pédagogie basée sur la tridimensionnalité, ses réalisations et ses capacités d’adaptation et d’innovation. Aujourd’hui, l’IPD se définit comme le précurseur d’un développement concerté, décent et durable (Déclaration de Ouagadougou, mars 2016).

En somme, L’histoire de l’IPD (1963-1981) résume un défi de responsabilisation des Africains pour la prise en main de leur propre développement. Ce récit est une leçon de leadership, une capacité d’influence pour une véritable transformation des hommes et des structures. Cet ouvrage est avant tout un manuel de formation en management du changement institutionnel.

Dr Poussi SAWADOGO, Consultant/Directeur des Etudes – IPD/AOS, octobre 2016

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