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En Afrique, les champs de l’espoir (1). Dans une entrevue accordée à Marie de Vergès du quotidien lemonde.fr, la géographe Sylvie Brunel estime que les Etats peuvent lutter contre la précarité rurale en favorisant la création de groupements de producteurs, de coopératives et de syndicats.

D’ici à 2050, la population de l’Afrique doublera, pour atteindre plus de 2 milliards d’individus. L’enjeu sera de nourrir ce continent où près de 240 millions de personnes sont déjà aujourd’hui victimes d’insécurité alimentaire. Et ce alors que l’agriculture y est nettement moins productive que dans le reste du monde. Un autre grand défi sera d’assurer des revenus décents aux agriculteurs, qui forment actuellement plus de la moitié des actifs africains et souffrent de pauvreté.

Professeure à Sorbonne Université et ancienne présidente d’Action contre la faim, la géographe Sylvie Brunel estime que les Etats africains ont « un rôle énorme à jouer » pour changer la donne. Auteure de nombreux livres consacrés à la faim et au développement (dernier paru : Toutes ces idées qui nous gâchent la vie, éd. Lattès, 2019), elle croit aussi que l’Afrique, avec ses immenses terres cultivables sous-exploitées, conserve le potentiel pour devenir « le grenier du monde ».

En quoi l’agriculture est-elle déterminante quand on parle du développement de l’Afrique ?

La question des paysans est au premier plan, d’abord parce qu’ils sont encore extrêmement nombreux. Même si les villes s’accroissent très rapidement, les urbains ne dépasseront les ruraux qu’en 2030. Or les paysans souffrent de ce que j’appelle « les 4 P » : la pauvreté et la précarité alimentaire ; la pénibilité, car leurs systèmes agraires sont encore très fragiles ; et les pertes, car les rendements sont très faibles, avec notamment des attaques parasitaires qui font des dégâts énormes.

Il existe d’autres modèles que celui de l’agriculture familiale paysanne. Certains sont dynamiques, insérés dans des circuits de commercialisation efficaces, notamment autour des villes avec le maraîchage, l’élevage de petits ruminants, l’aviculture… Et puis il y a une agriculture moderne avec de grandes firmes spécialisées sur des cultures destinées soit à l’exportation soit au marché urbain.

Mais quand on parle de l’agriculture africaine, on pense surtout à l’agriculture familiale, où se concentrent les masses paysannes. Et celle-là, sauf quand elle est soutenue par l’Etat, est dans une situation très difficile.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu de révolution agricole en Afrique, alors que la majorité des terres arables disponibles dans le monde se trouvent sur ce continent ?

Une révolution verte s’appuie en général sur des variétés à haut rendement qui intéressent les pays du Nord. Or l’Afrique n’est pas le continent du riz, du blé ou du soja. Les cultures africaines sont à la fois très diverses et assez spécifiques, que ce soit le mil, le manioc, l’igname, le sorgho… Ce ne sont pas les plantes sur lesquelles la recherche en agroalimentaire a misé.

Une deuxième raison est que l’Afrique a mis du temps à ressentir l’urgence alimentaire, contrairement au reste du monde. Aux indépendances, elle disposait de beaucoup de terres, d’une pluviosité abondante et d’une faible densité de population. Les choses ont basculé assez tardivement, avec la conjonction de l’explosion démographique et du cycle de sécheresses qui a commencé dans les années 1970. C’est à ce moment-là que l’Afrique a commencé à être assimilée au continent de la faim.

Une autre difficulté vient de ce que la terre est en Afrique un bien collectif. Or quand on n’est pas propriétaire de la terre, on ne peut pas investir. On ne peut même pas obtenir un crédit à la banque puisqu’on ne peut rien gager. On ne peut donc pas moderniser. Enfin, un autre facteur crucial, c’est que les Etats n’ont pas vraiment investi dans l’agriculture.

Pourquoi ce manque de soutien vis-à-vis des ruraux, qui représentent pourtant la majorité des populations africaines ?

Parce que le paysan est loin, dans les campagnes. Tandis que le citadin a les moyens, en descendant dans les rues, de renverser le gouvernement. Ce dernier a donc préféré remplir les estomacs des urbains – les bourgeois, les étudiants, l’armée – à bas prix pour acheter la paix sociale. Et puis il y a un biais en faveur de l’importation, car quand on importe, on impose des taxes. Cela remplit les caisses de l’Etat, qui a, autrement, bien du mal à lever l’impôt. Les pays du Nord ont eux aussi poussé à l’importation, car ils produisaient tellement et si bon marché que c’était intéressant pour eux de nourrir les villes africaines.

Face à ces constats d’échec, deux modèles s’affrontent : celui qui préconise de passer à l’agrobusiness et celui qui valorise l’agriculture paysanne. Faut-il trancher entre l’un ou l’autre ?

Lire la suite https://www.vivafrik.com/2020/04/30/en-afrique-lagriculture-moderne-laisse-de-cote-les-masses-paysannes-selon-sylvie-brunel-a35725.html

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