INFODOC :
évaluation ; ONG et outils de gestion. fv
De : Daniel
Van Espen [mailto:daniel.vanespen@signis.net]
Envoyé : mercredi 5 mars 2008
15:25
À :
fernand.vincent@ired.org; ketelers@icmc.net
Objet : International: Evaluer les
associations caritatives / Peter Singer
INTERNATIONAL
Evaluer les associations caritatives
Peter SINGER
Mis en ligne le 03/03/2008
L'humanitaire a aussi des comptes à rendre, mais comment
comparer la diminution de la souffrance par rapport au fait de sauver une vie ?
Il n'existe pas de valeur universelle.
Professeur de bioéthique à
l'université de Princeton (*)
Supposons que vous soyez préoccupés par le sort
d'enfants en Afrique qui succombent à des maladies pourtant guérissables. Vous
souhaitez donner de l'argent à une oeuvre de bienfaisance qui tente de réduire
le nombre de victimes. Mais les associations caritatives sont légion. Laquelle
choisir ?
La première question que pose la majorité des donateurs
est : "Quelle est la part allouée aux frais administratifs ?". Aux Etats-Unis,
ce chiffre est aisément consultable sur Charity Navigator, un site web qui a
reçu quelque cinq millions de visites. Mais ces informations sont compilées à
partir de formulaires que les associations remplissent elles-mêmes, pour le
fisc. Personne ne les vérifie, et les proportions allouées d'une part aux frais
administratifs, et de l'autre aux projets mêmes sont aisément manipulées avec un
peu de comptabilité créative.
Pire encore, même si les informations sont exactes,
elles ne vous renseignent en rien sur l'efficacité de l'association. La volonté
de réduire les frais administratifs peut rendre une association moins efficace.
Si, par exemple, une agence travaillant à réduire la pauvreté en Afrique doit
limiter le nombre de personnel qualifié qu'elle emploie, elle a plus de chances
de financer des projets qui n'atteindront pas leur but. Elle peut même ne pas
savoir quels sont les projets qui échouent, parce que pour les évaluer et en
tirer des leçons, il faut du personnel - ce qui alourdit d'autant les frais
administratifs.
En 2006, Holden Karnofsky et Elie Hassenfeld se sont
posé la question de savoir à quelle association caritative ils pourraient faire
un don. Ils avaient près de trente ans, et gagnaient un revenu annuel à six
chiffres en travaillant dans une société d'investissements - un revenu bien
supérieur à ce dont ils avaient besoin - et estimaient que cet argent pouvait
être utilisé pour faire du monde un endroit meilleur. Comme consultants en
investissements, il ne leur serait jamais venu à l'idée d'investir dans une
société sans des informations détaillées sur les moyens qu'elle se donnait pour
atteindre ses objectifs. Ils souhaitaient donc naturellement faire un choix
informé à propos de l'association caritative à laquelle ils feraient un
don.
Karnofsky et Hassenfeld ont formé un groupe avec six
amis qui travaillaient également dans la finance et se sont partagé le travail
pour déterminer quelles associations étaient efficaces sur le terrain. Ils ont
pris contact avec les différentes organisations, qui leur ont envoyé toutes
sortes de prospectus alléchants, mais aucune ne répondait aux questions
fondamentales : que font les associations caritatives avec leur argent, et
comment peuvent-elles prouver que leurs activités portent leurs fruits ? Ils ont
ensuite appelé directement plusieurs organisations au téléphone, avant de se
rendre à l'évidence : incroyable, mais vrai, ces informations n'existaient
pas.
Certaines fondations ont indiqué que les informations
concernant leurs activités étaient confidentielles. Ce genre d'attitude, se sont
dit Karnofsky et Hassenfeld, n'est pas la meilleure manière de gérer une oeuvre
de bienfaisance. Pourquoi les informations sur une assistance humanitaire
devraient-elles être secrètes ? Le simple fait que les associations caritatives
ne pouvaient répondre à ces questions a fait penser aux deux amis que les
personnes et les fondations faisaient des dons plus ou moins à l'aveuglette,
sans disposer d'informations leur permettant de faire un choix
éclairé.
Ils se sont dès lors fixé un nouvel objectif : obtenir
et publier ces informations. A cette fin, ils fondèrent une organisation appelée
GiveWell de manière à ce que les autres donateurs ne rencontrent pas les mêmes
difficultés qu'eux à les obtenir.
Il devint toutefois assez vite évident que la tâche
nécessitait plus qu'un temps partiel, et l'année suivante, après avoir emprunté
300000 dollars comme fonds de départ auprès de leurs collègues, Karnofsky et
Hassenfeld quittèrent leur emploi et commencèrent à travailler à temps plein
pour GiveWell et son organisme annexe d'octroi de subvention, The Clear Fund.
Ils proposaient aux associations caritatives de solliciter une subvention de
25000 dollars dans cinq catégories principales d'aide humanitaire. La procédure
de demande exigeait de soumettre le genre d'informations qu'ils désiraient
obtenir. Ainsi, une proportion importante des fonds qu'ils avaient collectés
revenait à l'association caritative la plus efficace dans son domaine, tout en
encourageant la transparence et une évaluation
rigoureuse.
La première évaluation des associations les plus
efficaces dans le domaine de l'aide humanitaire en Afrique est à présent
disponible sur leur site, www.givewell.net. Population Services International,
qui encourage l'utilisation et vend des préservatifs, pour lutter contre le
sida, et des moustiquaires, contre le paludisme, a remporté la première place,
suivi de Partners in Health, une organisation active dans les soins médicaux
pour les populations rurales pauvres. La troisième place est occupée par
Interplast, qui se consacre essentiellement à remédier aux malformations, comme
les becs de lièvre.
Évaluer les associations caritatives peut se révéler
plus compliqué que faire des choix d'investissement. Les investisseurs sont
intéressés par les dividendes, et il n'y a donc aucune difficulté à comparer
différentes valeurs - en finale, il s'agit toujours d'argent. Il est autrement
plus complexe de comparer la diminution de la souffrance apportée par une
opération du palais par rapport au fait de sauver une vie. Il n'existe pas de
valeur universelle.
Par ailleurs, l'évaluation des associations caritatives
prend aussi du temps et peut être coûteuse. C'est peut-être pour cette raison
que plusieurs organisations, dont certaines des organisations les plus connues
de lutte contre la pauvreté en Afrique, n'ont pas donné suite aux demandes
d'information de GiveWell. Elles ont sans doute calculé que les 25000 dollars de
subventions n'en valaient pas
Pour cette raison, le potentiel de GiveWell est
révolutionnaire. Aux Etats-Unis, les dons des personnes privées s'élèvent à près
de 200 milliards de dollars par an. Personne ne sait si ce montant faramineux
permet d'atteindre les objectifs que les donateurs veulent soutenir. En incitant
les associations caritatives à davantage de transparence et à mettre l'accent
sur des preuves concrètes de leur efficacité, GiveWell pourrait faire en sorte
que nos donations aient une action bien plus positive qu'auparavant.
(*) Auteur, entre autres, de "Animal Liberation,
Practical Ethics, One World", et avec Jim Mason, de l'ouvrage "The Ethics of
What We Eat"
© Project Syndicate, 2008. www.project-syndicate.org.
Traduit de l'anglais par Julia
Gallin