donc le maintien
de sa structure.2 »
Nous sommes en
présence d’un vaste
système bouclé
d’interdépendances
auquel
participent toutes ses compo-
santes. Tout y
est : l’affirmation d’une
pluralité de
niveaux d’organisation
(ayant chacun
ses propres finalités et
ses fonctions) à
l’intérieur de systèmes
que, pour cela,
on qualifiera de « com-
plexes » ; un
mode d’arbitrage entre
ces différents
niveaux ; un principe
de contrainte
minimale impliquant
la coopération
de tous au maintien de
l’existence du
Tout en tant que tel, et de
chacun considéré
individuellement.
1. Pluralisme
: la cohabitation de
plusieurs
logiques et niveaux d’orga-
nisation
Des atomes et
molécules consti-
tuant la
cellule, au cosmos tout entier,
une infinité de
systèmes s’intègrent
en un Tout
cohérent. Par rapport à
l’ensemble,
chacun de ces systèmes
constitue ce que
l’on appelle un ni-
veau
d’organisation. Mais à la diffé-
rence de
l’horloge (où les mêmes lois
de la mécanique
se retrouvent à tous
les échelons),
le passage d’un niveau
à l’autre
s’accompagne de change-
ments
qualitatifs à l’occasion desquels
émergent de
nouvelles logiques. Ainsi,
de la molécule à
la cellule s’accom-
plit le saut
phénoménal que constitue
l’apparition de
la vie ; la formation du
cerveau
s’accompagne du jaillisse-
ment non moins
considérable de la
pensée. Cette
émergence de proprié-
tés absentes des
niveaux inférieurs
interdit de
réduire le Tout à la somme
de ses
composantes. Il y a aussi ce que
produisent les
interrelations entre
celles-ci.
Chaque niveau d’organisa-
tion dépasse la
somme des fonctions
de niveaux dits
« inférieurs » dont il
résulte et,
associé à d’autres, contri-
bue à la
production de niveaux dits
« supérieurs »,
qui le dépassent sans
qu’il y ait
aucune connotation qualita-
tive ou
hiérarchique dans ces termes.
Nous sommes au
contraire dans le do-
maine de
l’organisation en réseaux et
de
l’interdépendance. Chaque niveau
contribue, en
relation avec les autres,
au bon
fonctionnement du Tout. Tous
sont également
indispensables : pour
faire image,
c’est par la disparition des
oiseaux que,
dans son livre Printemps
Silencieux en
1961, Rachel Carson an-
nonçait les
menaces pesant sur les ré-
gulations de la
Planète.
Ce premier
principe conduit à une
société
plurielle. Les intérêts particu-
liers existent
et l’on aurait grand tort
de vouloir les
ignorer. Mais l’on aurait
grand tort
également de ne vouloir
connaître
qu’eux. La rentabilité d’un
équipement
collectif comme un bar-
rage, ou un
moyen de communication,
ne s’exprime
pas dans le court terme
à travers le
compte d’exploitation de
l’unité qui en
assume la gestion, mais
dans le long
terme par son impact sur
le produit
national ; le marché lui, ne
comptabilise
que les flux monétaires
le concernant.
Par ailleurs, un hôpi-
tal, un
établissement d’enseignement
ne produit pas
de l’avoir, mais de l’être
(physique ou
mental). Au nom de quoi
ferait-on de la
logique marchande le
grand
régulateur de la production
d’être ?
L’intérêt général ne se réduit
pas à une
simple addition d’intérêts
individuels. De
ce point de vue et sans
entrer dans le
détail, on peut distin-
guer trois
types de fonctions, délimi-
tant autant de
secteurs auxquels se
raccordent
l’ensemble des activités
sociales
:
- des fonctions
d’intérêt individuel
relatives aux
activités dont les effets,
concernant
essentiellement les parti-
culiers et les
entreprises qui les assu-
ment, ne sont
pas susceptibles de re-
mettre en cause
l’intérêt général et que
l’on n’a aucune
raison de ne pas confier
à l’initiative
privée
- d’autres qui,
par nature (biens
collectifs,
santé, culture, éducation,
sécurité…) ou
par l’importance des ef-
fets induits
qu’elles comportent pour
l’ensemble de
la collectivité (finance,
banque,
armements, nanotechnolo-
gies…),
relèvent de l’utilité sociale,
rejaillissent
sur l’intérêt général et
doivent être
assumées ou étroitement
contrôlées par
la collectivité publique ;
- des fonctions
de solidarité enfin,
conjuguant
l’intérêt général et l’initia-
tive privée,
qui sont organisées sous
forme
d’associations, mutuelles ou
coopératives,
de telle façon qu’elles
ne menacent en
rien le jeu de l’utilité
collective ;
elles représentent en elles-
mêmes la
société ; l‘expérience prouve
qu’en termes
d’efficacité, elles n’ont
rien à envier
aux secteurs précédents.
Ces trois types
d’activités ne doivent
pas être
considérés isolément mais
dans leur
interdépendance. C’est, en
dépit de tous
les dogmatismes, sur
leur
coopération et non sur le règne
exclusif de
l’une d’elles qu’ont reposé
les grandes
réussites économiques,
comme en
témoignent, aux États-
Unis, le New
Deal des années Trente
ou la Silicon
Valley des années 1970,
en France, la
Planification souple et les
Trente
glorieuses de l’après–guerre, au
Japon, le rôle
du MITI dans la percée
technologique
du dernier quart du XX°
siècle.
2.
Arbitrage. La prééminence du
Tout : le
primat de l’intérêt général
sur les
intérêts particuliers
La fable de La
Fontaine nous dit ce
qu’il advient
lorsque les membres en-
tendent chacun
n’agir – à l’encontre
de l’estomac -
que dans son intérêt
propre : « ce
leur fut une erreur dont
ils se
repentirent ». Si, de la cellule à
l’individu et à
la biosphère, les finali-
tés de tous les
sous-systèmes s’articu-
lent de façon
cohérente, c’est que la
finalité
fonctionnelle de la reproduc-
tion du « Tout
» l’emporte sur celle des
sous-systèmes
qui le constituent. Les
normes de
reproduction de l’espèce
humaine et du
milieu naturel consti-
tuent donc
autant de contraintes à l’in-
térieur
desquelles doit se maintenir le
champ de
l’optimisation économique.
Cela implique
le primat de l’utilité
sociale sur les
intérêts individuels.
D’une part,
pour des raisons iden-
tiques à celles
des systèmes vivants, le
Tout social est
plus que la somme des
individus qui
le composent. D’autre
part, le
célèbre « paradoxe de Condor-
cet » montre
que les préférences indi-
viduelles ne
déterminent pas néces-
sairement le
choix social : si - pour
faire simple -
trois amis hésitent entre
passer leur
soirée au cinéma (a) au
théâtre (b) ou
au concert (c), il se peut
fort bien que
l’ordre de préférences de
Pierre soit
a>b>c , celui de Paul b>c>a
et celui de
Jacques c>a>b ; on voit bien
qu’il y a une
majorité de deux contre
un pour
préférer « a » à « b » , puis « b »
à « c » et
cependant « c » à « a ». A ce
niveau, la
question est insoluble. Des
individus au
groupe, les choix ne sont
pas transitifs.
L’utilité sociale d’une
collectivité ne
se réduit donc pas seu-
lement à celles
de ses composantes.
Ceci concerne
tout particulièrement
le monde
contemporain dans lequel le
sous-système
financier a fini par im-
poser la
suprématie de sa logique pu-
rement
instrumentale à l’ensemble de
la planète. Or,
un monde dans lequel
la logique de
l’instrument tient lieu de
finalité marche
sur la tête et devient
fou. Le
sacrifice des hommes s’affirme
comme le moyen
d’assurer « la bonne
marche » du
système productif, mais
la bonne marche
pour quoi faire s’il
ne sait
produire que le malheur de
ceux qu’il
devrait servir ? Quand le
seul critère de
succès, justifiant tout,
est la réussite
financière, quand les
repères
éthiques ont disparu, au nom
de quoi
pourrait-on réguler la société ?
Celle-ci se
décompose et les citoyens
perdent la
raison. Les uns, baissant les
bras, vont
chercher refuge dans les pa-
radis
artificiels ; les autres se révoltent
et cassent,
pour le plaisir de « casser »